Samuel Tardieu @ rfc1149.net

Cela n'arrive (pas) qu'aux autres

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Je lis souvent des choses atroces sur Internet. Des récits d’expériences malheureuses, de vécus tragiques. À chaque fois, je plains les victimes, et me réjouis de ne pas être à leur place.

J’étais notamment tombé par hasard sur plusieurs sites qui racontaient comment, suite à un concert trop bruyant ou à une soirée en boîte de nuit au volume excessif, certaines personnes avaient perdu tout ou partie de leurs capacités auditives. Par chance, je n’avais jamais eu de problèmes de la sorte, malgré mon attirance pour les endroits bruyants. De toute façon, ce genre de choses ne pouvait arriver qu’aux autres, mes oreilles étaient en béton.

J’avais tort. Mercredi dernier, j’ai assisté avec des amis au concert de System Of A Down au POPB. C’était un bon concert, bien que court. Nous étions dans la fosse, juste devant les musiciens et les hauts-parleurs. Le son était fort. Très fort. Beaucoup trop fort en fait. À la sortie, comme après tous les concerts violents, j’entendais le monde à travers une épaisse couche de coton, les sons me parvenaient etouffés, sensation somme toute pas si désagréable et qui passe habituellement en quelques dizaines de minutes.

Malheureusement, cette impression de surdité passagère a persisté durant la soirée qui a suivi le concert. Sont venus s’y ajouter des acouphènes, sifflements permanents produits par le système nerveux pour pallier une déficience auditive. Le lendemain matin, après avoir dormi, aucun changement, je restais sourd et en proie à ces sifflements obsédants.

C’est alors que je me suis souvenu de ces pages lues sur Internet. Elles disaient toutes que dans un tel cas la rapidité de réaction était primordiale, et qu’un déplacement aux urgences était indispensable pour espérer récupérer, sans aucune garantie, une partie des capacités auditives perdues lors du traumatisme. Je me suis donc rendu à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière, proche de chez moi, où j’ai été très rapidement admis en consultation ORL pour y subir un audiogramme, après avoir dû toutefois insister pour convaincre l’accueil de la nécessité d’une consultation immédiate.

L’examen a pris dix minutes, à l’issue desquelles mon hospitalisation d’urgence a été décidée. Comme me l’a dit hier matin le chef de service de l’unité où je suis accueilli, « vous avez un profil auditif typique d’un chasseur ou d’un militaire en fin de carrière ». Les deux oreilles sont atteintes et ont subi une très importante perte d’audition dans les aigus. Le premier médecin rencontré était très dubitatif quant à une quelconque possibilité d’amélioration, mais nous avons décidé de tenter le seul traitement dont on pense qu’il peut avoir une certaine efficacité (non prouvée selon lui) s’il est administré à temps.

Ce traitement consiste à recevoir, en perfusion, jour et nuit, des vaso-dilatateurs et des corticoïdes, pendant une durée variant de cinq à dix jours. A priori, je suis bloqué à l’hôpital pour une semaine. Je n’ai pas le droit d’interrompre, même pour un instant, la perfusion de vaso-dilatateurs. Je promène l’appareil partout avec moi, sous la douche, dehors, à la cafétéria. Je suis au régime sans sel à cause des corticoïdes, et je dois limiter le sucre au maximum. Les sushis et la viande des grisons (mes deux pêchés mignons) me sont interdits, ainsi que l’alcool.

Les derniers résultats des tests montrent une amélioration notable de l’oreille droite, qui semble avoir bien récupéré, et une chute de 40dB pour les aigus de l’oreille gauche, qui continue à siffler sans interruption. Je m’estime extrêmement chanceux d’avoir récupéré une audition correcte d’un côté. Je conserve l’espoir d’une récupération partielle pour l’oreille gauche, même si c’est improbable.

Je suis heureux que Marie, Anne et Xavier, présents avec moi dans la fosse lors du concert, n’aient visiblement pas été atteints. Sébastien et Audrey, qui ont assisté au concert depuis les gradins, étaient moins exposés. De nous tous, Marie a été la seule prudente et a utilisé des filtres de cigarette (sans le papier) pour pallier l’absence de bouchons d’oreille. C’est elle qui semble avoir le plus profité de la musique.

Au fait, pourquoi écrire ce billet ? J’ai deux raisons distinctes :

  1. Prévenir les personnes qui attendent des nouvelles de moi, pour des raisons professionnelles ou personnelles, qu’elles devront patienter encore une semaine avant que je ne retrouve une connexion à Internet.

  2. Mettre en garde tous ceux qui assistent à des événements bruyants ; utilisez systématiquement des bouchons d’oreille, vous profiterez tout autant de la musique, et éviterez de détruire vos oreilles définitivement ! Notez que ce concert avait lieu à Bercy, dans une salle très fréquemment utilisée pour ce genre d’événements. Que des professionnels aient pû organiser un concert d’une telle intensité sonore, ne ressemblant en rien à ce que j’avais déjà entendu, me dépasse. C’est d’autant plus surprenant que le concert était extrêmement court, et qu’il n’y a eu aucun rappel. Après coup, je m’en réjouis, je n’ose imaginer les conséquences d’une exposition encore plus longue à un tel niveau sonore.

Quand j’en aurai l’occasion, je rejoindrai la cohorte des gens qui tentent d’informer les autres, jeunes ou moins jeunes, des risques liés à l’exposition à un bruit trop fort. Cela n’empêchera peut-être pas la prise de risques (comme dans mon cas), mais peut-être cela permettra-t-il à d’autres de savoir comment réagir une fois les symptômes présents.

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